Promenade musicale et naturaliste

Par Marianne Roussier du Lac

Note d’intention
En septembre on n’entend plus le rossignol à Paris. Il s’apprête à quitter nos clairières pour
les bosquets de l’Afrique subsaharienne. Mais en toutes saisons comme à toutes les époques
son chant inspire les amants et les poètes, tout autant que les simples promeneurs comme
vous et moi.

Prenons pour guide l’oiseau chanteur des bois, le génie des lieux bucoliques, ombreux et
frais avec leurs ramures mystérieuses. Car nous les urbains lassés des villes minérales sous
surveillance, pourquoi venons-nous ici, dans cet ancien jardin d’essai dédié aux « plantes
utiles » et à l’agriculture coloniale, sinon pour les herbes hautes, les chênes vénérables, les
imposants laricios qui surmontent les vestiges de l’exposition de 1907 ? Ici nous fuyons nos
vies trop remplies pour trouver ce qui manque à notre quotidien : la poésie des ruines, la
paix de la nature, le silence et la solitude, l’abandon et le dépaysement.

Suivons la musique, engageons-nous avec confiance sur les sentiers qui divaguent dans le
paysage. « Territoire mental d’espérance » selon la belle expression de Gilles Clément, le
jardin nous délivre et nous déplace, son abondance, qu’elle soit cultivée ou laissée à son
propre dynamisme, nous promet une vie plus libre et plus belle. Si le productivisme du
laboratoire de jadis et le romantisme indécis du jardin d’aujourd’hui semblent diverger, le fil
ténu du rêve que toujours le jardin propose, les reliera.

Musiques :

Jacques Offenbach : Air d’Olympia « Les Oiseaux dans la charmille»
Albert Roussel : Deux poèmes de Ronsard pour chant et flûte « Rossignol mon mignon » … « Ciel, aer, et
vens
» …
André Jolivet : Incantation n*4 pour flûte « Pour une communion sereine de l’être avec le monde »

Nous envions aux oiseaux leur génie musical. Il nous inspire durablement. Pour le dire
autrement, dans un grand élan bien humain d’identification nous tentons d’attirer les
oiseaux dans notre sphère, d’en faire des personnages chanteurs, auxquels nous confions
l’expression de nos émotions.

L’alouette est une jeune paysanne joyeuse, le merle un artiste surdoué et désinvolte,
mais le rossignol est le prince des chanteurs de charme, il est Orphée, Chérubin, Gigi
l’amoroso…

Comme d’autres passereaux il est discret, insaisissable même, on ne le voit pas, on
l’entend. Mais nous savons qu’il chante pour appeler/attirer une compagne, tôt le matin,
tard le soir, quand les autres oiseaux se taisent, toute la nuit parfois. Au printemps, pendant
la période nuptiale. Ces connaissances naturalistes de base ont suffi pour établir l’analogie
qui réserve au rossignolet des bois une place privilégiée dans la poésie amoureuse savante,
comme celle de Ronsard, aussi bien que dans la chanson sentimentale populaire, les contes
grecs ou chinois, ou les comédies de Shakespeare.

C’est que les trilles du rossignol sont si musicales, elles sont si complexes et en même
temps si spontanées. Tant de sincérité, tant d’ardeur, tant de charme, cela surpasse le
langage humain. La chamade des émotions liées à l’amour, toute la gamme qui va de
l’allégresse au désespoir, tout ce qui met nos cœurs en émoi, et que nos discours sont si peu
aptes à dire, le rossignol des bois, celui qui chante sur la plus haute branche, en est devenu
l’interprète. Le rossignol chante aussi l’insouciance de la jeunesse, le pur bonheur de vivre.
Se sentir exister à l’unisson de la nature vivante, sans distance, sans arrière-pensée, naître et
renaître à la vie et reconnaître sa joie dans le chant des oiseaux : c’est l’expérience intime
racontée par Rousseau dans un passage du livre 4 des Confessions. JJ a vingt ans, il est dans
la misère, mais il voyage à pied et il vit, intensément, de l’air du temps. Écoutez, c’est aussi
beau que la voix du rossignol :


Qui parmi nous se souvient que le rossignol est un oiseau migrateur ? Dans la
chanson, la poésie, les textes, c’est un oiseau bien de chez nous. Il fréquente le jardin peu
entretenu, la charmille, la haie touffue, les sous-bois, les « halliers ». C’est là qu’on l’entend,
au printemps, sans le voir, car il recherche une ambiance de pénombre végétale. Peut-être
qu’il y en a ici au printemps dans les recoins les plus sauvages.

Mais le rossignol habite aussi dans les régions subsahariennes. Il y repart de fin août
jusqu’à début octobre, il traverse le détroit de Gibraltar pour hiverner là-bas dans la zone
intertropicale. Puis il reprend sa route en avril pour revenir en Europe sur ses sites de
nidification.

Gratitude au rossignolet de faire ces longs voyages ! Car ainsi il nous précède dans
l’ex- empire colonial d’Afrique, dans sa partie sud du moins. C’est aussi un habitué du
Maghreb, où il chante au printemps comme en France. Alors, peut-être, les jardins coloniaux
d’Algérie (une vingtaine), du Bénin (Dahomey) et des autres colonies d’Afrique française
(une cinquantaine), ont-ils hébergé des rossignols ! Un rossignol s’est-il perché sur un hévéa
ou un eucalyptus du jardin d’essai du Hamma à Alger, ou bien sur un palmier à huile au
jardin de Porto Novo (Bénin) ? C’est écologiquement peu probable, mais on peut l’imaginer.
En tout cas la longue navette immémoriale et obstinée de l’oiseau entre Europe et Afrique
est une facette des innombrables voyages du vivant ! Les oiseaux migrent, les plantes aussi,
comme le rappelle si si bien Gilles Clément, l’inventeur du jardin planétaire :


Les plantes voyagent. Les herbes surtout.
Elles se déplacent en silence à la façon des vents. On ne peut rien contre le vent.
En moissonnant les nuages on serait surpris de récolter d’impondérables semences mêlées
de lœss, poussières fertiles. Dans le ciel déjà se dessinent d’imprévisibles paysages.
Le hasard organise les détails, utilise tous les vecteurs possibles pour la distribution des espèces.
Tout convient au transport, des courants marins aux semelles des chaussures.
L’essentiel du voyage revient aux animaux. La nature affrète les oiseaux consommateurs de baies,
les fourmis jardinières, les moutons calmes, subversifs, dont la toison contient des champs et
des champs de graines. Et puis l’homme. Animal agité en mouvements incessants, libre échangeur
de la diversité. (Éloge des vagabondes).


Dans le réseau des jardins coloniaux, qui relie ceux des métropoles comme celui où
nous sommes, à ceux des colonies, la circulation des plantes est aussi intense que contrôlée,
bien loin du libre échange et des voyages spontanés des graines emportées par le vent.
Jacques Tassin parle de migrations assistées … par les hommes. Une assistance qui n’a rien
de désintéressé, pour des déplacements démesurément allongés, à l’échelle de la planète. «
Dès qu’une culture est reconnue utile et lucrative, elle doit être propagée sans délai »
affirme George Scellier de Gisors, organisateur de l’expo coloniale de 1900. Un rêve aux
parfums exotiques, aux images d’abondance et de prospérité, qui s’est longtemps bien
vendu …


Mais nous les visiteurs du XXIe siècle nous connaissons trop bien les ressorts et les
revers de cette histoire de cacao et de vanille, de bois de santal et d’or, d’eucalyptus et
d’huile de palme, d’exploitation du végétal et de travail forcé. Cet héritage pénible, dont il
est manifeste que le jardin d’agronomie tropicale d’aujourd’hui ne l’assume pas, il est
probable que, nous non plus, nous ne sommes pas venus pour le recueillir. Déposons ce
souci. Nous ne sommes que de passage. Envolons-nous.

Un instant posons-nous sur les plus hautes branches, là où si on croit la chanson, -qui
n’est pas écrite par un ornithologue-, le rossignol lance ses trilles. Ou bien plaçons-nous
dessous, pour plus de confort. Nous savons bien pourquoi nous sommes là.

Quand vous venez dans ce coin du bois de Vincennes, ce coin peu entretenu, aux
lignes paysagères indécises, des oiseaux chantent dans l’ombre, parfois ils traversent
l’espace, le vent passe entre les pins laricio, leurs troncs blancs captent la lumière. Vous
marchez dans des allées herbeuses qui sinuent et ne vont nulle part. Dans une trouée, entre
des fleurs des champs vous devinez la silhouette d’un décor délabré. Vous êtes seul et
pensif. Ou bien vous êtes accompagné.e, mais vous ne parlerez pas beaucoup finalement
pendant cette balade. Le son du silence sait se faire respecter. Ciels, airs et vents, taillis,
forêts, fontaines, autour de vous se déploie le poème de la nature vivante. Elle ne vous
appartient pas, c’est vous qui lui appartenez. Cette intuition, calme comme toutes les
évidences, en vous déplaçant, en vous déséquilibrant, vous délivre. N’hésitez pas, profitez de
cette liberté retrouvée, de cette espérance inventive, profitez des promesses du jardin.