Quand la musique dialogue avec l’histoire et la nature – Festival Chant de la Terre – Interview Ariane Jacob

Par ClassicAgenda

Pour sa 4ᵉ édition, le Festival Chant de la Terre investit le Jardin d’Agronomie Tropicale, lieu chargé de mémoire et de mystère, au cœur du bois de Vincennes. Sous l’impulsion de sa directrice artistique, Ariane Jacob, l’événement fait résonner musiques classiques, traditions du monde, jazz et créations contemporaines dans un cadre unique, où patrimoine, écologie et ouverture culturelle s’entrelacent. Rencontre avec une programmation qui cherche à rapprocher les univers et à élargir les horizons du public. Interview Ariane Jacob, directrice artistique du festival

Le Festival Chant de la Terre en est déjà à sa 4ᵉ édition. Qu’est-ce qui, selon vous, en fait l’âme et la singularité par rapport aux autres festivals de musique ?

Ce qui distingue le Festival Chant de la Terre, c’est la correspondance entre l’acte artistique et le Jardin d’Agronomie Tropicale (JAT) : un lieu vivant, multiple, entre mémoire coloniale, architecture exotique et nature retrouvée.
Créé en 1899 comme jardin d’essai colonial puis transformé en site d’exposition en 1907, il porte encore les traces, vestiges architecturaux, d’une histoire douloureuse, faite de domination et d’exploitation.
Cette atmosphère crée un cadre de résonance unique pour la musique, à la fois intime, solennel et ancré dans l’histoire. Lieu surprenant, encore méconnu des Parisiens, il accueille aussi une pépinière d’acteurs du développement durable, prolongeant son histoire agricole en une réflexion écologique contemporaine.

Vous parlez d’un « dialogue entre les musiques d’Occident et d’ailleurs ». Comment construisez-vous cette rencontre dans votre programmation, et quelles sont les passerelles que vous aimez créer entre ces univers ?

Le projet du Festival Chant de la Terre est d’inviter chacun à traverser les différences et à se familiariser avec l’inconnu.
La programmation naît de choix artistiques exigeants, mais aussi de la confiance que je place dans les artistes, qui proposent des programmes reflétant leurs origines. Le Festival est pensé comme un espace de croisements imprévus entre cultures, esthétiques et artistes venus d’horizons différents.
En 2024, lorsque N’Zola N’Tima a entraîné la violoncelliste Adèle Lorenzi et la pianiste Julie N’Guyen dans un chant de sa composition sur des textes en lingala, la magie de l’échange était palpable. Cette même édition accueillait aussi Amel Brahim-Djelloul, dont le récital, allant du répertoire espagnol classique aux berceuses berbères de son enfance, avait la force d’un dialogue intime.
Ce sont ces voyages-là que nous voulons partager avec le public : des rencontres musicales qui révèlent autant qu’elles rassemblent.

Ariane Jacob
Ariane Jacob

Le Jardin d’Agronomie Tropicale est un lieu chargé d’histoire. En quoi son atmosphère influence-t-elle la manière dont le public reçoit la musique et dont les artistes se produisent ?

Le JAT est un lieu de mystère qui suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Son histoire se devine à travers des monuments plus ou moins entretenus, vivants ou délabrés, et son caractère solennel, lié au recueillement et à la commémoration. L’incertitude que l’on y ressent crée un état d’hyper-réception émotionnelle qui touche le public comme les artistes.

Votre programmation mêle musique classique, traditionnelle, jazz et jeunes publics. Comment parvenez-vous à équilibrer cette diversité tout en gardant une cohérence artistique ?

Notre point d’ancrage est si puissant, à savoir le jardin lui-même, que nous ne craignons pas d’égarer le public avec des propositions diversifiées. Au contraire, cette diversité est l’ADN du Festival : faire dialoguer le grand répertoire européen — de Monteverdi à Messiaen — avec d’autres traditions du monde, sans oublier la création contemporaine. Ici, la notion de « musique du monde » traduit notre volonté de faire coexister des cultures sonores différentes, toutes portées par une même exigence acoustique.
L’édition 2025, du 12 au 14 septembre, accueillera ainsi un récital de piano autour de Rachmaninov, un concert de jazz contemporain, une immersion dans l’art du maqâm méditerranéen et la musique traditionnelle latine.

Vous revendiquez la volonté d’amener de nouveaux publics vers la musique acoustique. Quelles actions ou formats spécifiques mettez-vous en place pour atteindre cet objectif ?

J’ai toujours voulu conjuguer exigence et ouverture : m’adresser aux mélomanes, mais aussi aux familles, aux enfants et à tous les curieux !
Tous les ans, nous proposons un concert dédié au jeune public. Cette année, trois solistes de l’Orchestre Colonne, accompagnés par Vincent Legoupil, feront découvrir la joie de la musique aux enfants. Pour les amoureux de nature, la promenade poétique, guidée par Marianne Roussier du Lac et interprétée par Louise Roch, offrira une autre manière d’entrer dans le Festival.
Enfin, nous aimons explorer des formats qui ouvrent la musique à d’autres horizons. En 2023, nous avons proposé un ciné-concert et nous continuons à imaginer ce type de rendez-vous. Chacune de ces initiatives fédère de nouveaux publics et permet à des spectateurs différents de se retrouver autour d’un même lieu.

Le soutien des communes voisines du bois de Vincennes, en complément de celui de la Ville de Paris et de la Mairie du 12ᵉ, renforce encore cette dynamique.

Festival Chant de la Terre
Festival Chant de la Terre

Certains concerts sont gratuits et en plein air. Est-ce une manière pour vous d’ouvrir davantage la musique à tous, et comment cela impacte-t-il l’expérience du Festival ?

L’accessibilité est au cœur du Festival. Grâce à une politique tarifaire abordable et à plusieurs concerts gratuits en plein air, nous permettons à toutes et à tous de s’approprier le Jardin et d’en faire un espace partagé. Le dimanche, la journée entière est gratuite, et le concert de clôture en plein air, très attendu.
Cette année, il sera confié au Lia Naviliat 4tet avec son spectacle Raíces. Avec sa voix sensible et son énergie solaire, Lia Naviliat entraîne dans une ambiance de guinguette à la sauce latine, festive et dansante.

En contraste, les concerts au Pavillon de l’Indochine proposent une atmosphère plus intime. En ouverture de l’édition (vendredi 12 septembre, 19h30), la pianiste Macha Kanza donnera un récital autour de Chopin, Rachmaninov, Ravel et Georges Enesco, compositeur auquel elle consacre ses recherches et un prochain enregistrement. Lauréate de concours internationaux et formée auprès de grands maîtres européens, elle se distingue par une double culture pianistique, héritée des traditions polonaise et russe, et par une curiosité constante pour les répertoires.

Pour terminer, quel serait votre souhait ou votre rêve pour l’avenir du Festival Chant de la Terre ?

Notre grand souhait est que le Festival devienne un lieu de création. Nous travaillons déjà à un projet avec Youmna Saba et André Serre-Milan autour de films rares des frères Lumière, qui prolongerait notre expérience cinématographique. Nous voulons aussi développer la « mise en art » du jardin : faire dialoguer musique, poésie et arts visuels pour offrir de nouvelles immersions. Enfin, nous envisageons des partenariats avec des lieux qui résonnent avec notre démarche, comme le Musée de l’histoire de l’immigration ou le Musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Festival Chant de la Terre, 4ᵉ édition, du 12 au 14 septembre 2025 au Jardin d’agronomie tropicale René-Dumont (Paris 12ᵉ).